En 1914, Georges Denola réalise la première adaptation cinématographique de La Guerre du Feu, produite par la S.C.A.G.L. et éditée par Pathé Frères. En plus d’un travail d’accessoiriste poussé, le film fait appel à des stéréotypes importants, comme la “danse préhistorique”.
Nous remercions particulièrement Fabrice Mundzik, qui a consacré en 2012 un blog très riche à l’oeuvre de Rosny Aîné sur la plateforme Overblog. Les images ci-dessous, ainsi que le contexte du film, y sont empruntées.
Malheureusement, le film n’est pas disponible en ligne dans son intégralité. Il constitue un exemple important de récit préhistorique littéral et sans anachronisme de temps profond : le film ne comporte pas de dinosaure. Mais que les amateurs de Préhistoire soient prévenus : aucune trace de Mammouth n’y a été trouvée.


Projeté à partir de février 1915, le film muet en noir et blanc dure environ 25 minutes et mobilise plusieurs dizaines de figurants, dont une trentaine dans certaines scènes.

Le générique mentionne uniquement le réalisateur et Georges Dorival (Naoh). Quelques sources attribuent également des rôles à Delmy, Herman Grégoire, André Simon et Léa Piron, sans certitude.
L’affiche illustrée par Raphaël Freida ne précise pas la distribution. L’auteur J.-H. Rosny est crédité sans la mention « aîné ».

Le film comporte des maladresses de tournage ainsi que des effets spéciaux rudimentaires, notamment des étincelles lors de l’allumage du feu. Restauré en 1997 par la Cinémathèque française, il est partiellement visible sur le site du Musée historique environnement urbain. Aucun mammouth n’y figure.

‘La Préhistoire est une mine d’or”, écrivait en 1928Rosny Aîné dans son article Pourquoi le cinéma ne nous a donné aucun grand film sur la Préhistoire (voir ci-dessous).
Certes, mais une mine d’or inexploitable ?











Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ?
Pourquoi n’existe-t-il pas de beaux films préhistoriques ? Il y a bien quelques essais, mais vagues, insuffisants, mal documentés et puérils ou médiocres.
La Préhistoire pourtant mérite de passionner les grands réalisateurs… On y trouve, pour qui a un don d’imagination, toutes les ressources de l’aventure, du drame et de la fable.
On l’ignore. La Préhistoire est de plus en plus et de moins en moins encore assimilée. Tout d’abord, on ne sait ce qu’elle est — et que c’est, en réalité, notre histoire : la suite directe de sociétés humaines différentes les unes des autres.
On ne songe pas, d’autre part, que la Préhistoire humaine est de beaucoup la plus importante époque de l’Humanité. C’est tout au plus si l’histoire embrasse cinq ou six mille ans.
La Préhistoire a duré pour le moins dix fois plus. Qui sait si ce n’est pas la cause secrète de certaines œuvres qui nous ramènent vers la vie primitive : Robinson, Paul et Virginie, Atala, Le dernier des Mohicans… Avec la forêt vierge, la savane sauvage, les eaux mystérieuses, le lecteur revivait instinctivement notre plus grand passé.
Pour le milieu choisi, pour la forme des sociétés, nous n’avons que l’embarras du choix.
Préférez-vous l’époque magdalénienne ? Vous y trouverez des hommes aussi fiers et intelligents que les Australiens, plus affinés que les Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord et, chose qu’on n’aurait jamais prévue, beaucoup plus artistes que maints peuples civilisés.
Les Magdaléniens étaient des chasseurs habiles et surprenants par les plastiques : un ragoût de rennes, par exemple. Sur les murs et plafonds de cavernes, on a représenté des mammouths des cervidés, des ours, des félins, des chevaux, des rennes, il y a quatorze ou quinze mille ans.
Ils sculptaient l’ivoire, la corne de renne, perçaient, gravaient aussi admirablement que les Japonais.
Des œuvres comme le magnifique bas-relief des rennes nageant, découvert dans les eaux de la Coup-Blanc, le beau cheval rehaussé trouvé à Lourdes et dans les abris de l’Azi, le bison des cavernes, charment les visiteurs.
La gravure n’est pas moins étonnante : des mammouths, des rennes, des chevaux, des élaphes, des bisons, des antilopes, des félins.
Les fresques pariétales — abris et blocs, parois de cavernes, tout cela nous révèle un art d’une rare finesse et mêlé au sauvage.
Un tel mélange ne se verra plus. Il pourrait séduire autant que l’époque historique, mais rien de comparable aux eaux magdaléniennes que, répétons-le, la peuple civilisé n’a pas atteint.
Il y avait en outre une jeunesse, une sève, une énergie de génie qui ne se retrouvera plus par la suite : nos sauvages sont des dégénérés comparés aux admirables Magdaléniens.
Voulez-vous comprendre tout ce qu’un cerveau inventif peut tirer d’une pareille époque ? Ces chasseurs artistes, avec leurs croyances religieuses (que les gravures et les peintures nous révèlent), suggèrent d’aussi beaux romans, partant d’aussi beaux films, que suscite n’importe lequel de nos siècles historiques…
La période néolithique n’en suscitera pas moins, surtout chez les hommes lacustres. Ces cités bâties sur pilotis, au sein des lacs, et alimentées par un commerce actif, préfiguraient une industrie complexe et valeureuse.
L’habitant du village pouvait se défendre aussi bien d’une attaque que ses semblables.
On aura cependant beaucoup moins de choix dans l’étain et les métaux. Les terrains de culture limitaient les meilleurs terroirs. En outre, la sédentarité d’une peuplade prospère était une grande tentation pour les tribus pauvres : déjà la culture, la domestication des animaux, de grandes ressources.
Figurez-vous des sièges tenaces, de formidables incendies, des lacs en feu et en cendres. Le scénariste imaginera maints romans, et le metteur en scène des films nombreux, sans épuiser le sujet.
Le Magdalénien, le Lacustre, ce n’est encore qu’un coin de la Préhistoire : vous pouvez remonter aux Aurignaciens, aux Moustériens même.
Vous pouvez aussi descendre vers le mégalithique, vers l’âge du bronze, l’âge du fer, et vous ne serez pas au bout.
La Préhistoire est une mine d’or. Les romanciers n’y pensent que depuis quelques années : le roman préhistorique avant notre Vamireh, et même quand J. Séa La Guerre du feu, d’où l’on pourrait tirer, peut-être, un grand film, ou encore Helgvor, n’a cessé assez vague, auxquels manquait l’atmosphère, le climat du recueil.
Les poètes, les jeunes, des écrivains, français et étrangers ont été tentés par cette science naissante. Ils l’ont à peine effleurée.
Le théâtre n’a représenté qu’une ou deux scènes amusantes en rapport. Le cinéma n’a rien donné de valable.
Ne se trouve-t-il pas d’autre part un écrivain de la phalange, et d’autre part un hardi réalisateur, pour oser le cinéma d’un grand œuvre préhistorique ?
J.-H. Rosny aîné, de l’Académie Goncourt


